Galion San Diego.   [suite]

1990-1994 : Recherche et fouille du San Diego, galion espagnol coulé le 14 décembre 1600, au large de l’Île de Fortune aux Philippines.

Octobre 1600, Manille. Devant l’approche menaçante de navires hollandais commandés par Olivier de Noort, le commandement espagnol de l’archipel fait équiper en toute hâte trois navires pour leur faire opposition. Alors qu’aucun navire de guerre n’est disponible, c’est un galion de commerce, le San Diego, qui est armé pour faire office de vaisseau amiral. Sans prendre le temps de décharger sa cargaison initiale, une armée de près de 450 personnes monte à bord ; les canons enlevés à la forteresse de la ville sont également embarqués. La capacité de manoeuvre du navire est dès lors extrêmement limitée. Le vice-gouverneur de Manille, Antonio de Morga, fonctionnaire irréprochable mais sans talent de commandement, en est nommé amiral.

Au moment décisif de l’abordage, Antonio de Morga, prostré d’angoisse, se trouve dans l’incapacité de donner un ordre cohérent. Le San Diego coule à pic devant les hollandais médusés qui en profitent pour quitter les Philippines. Sauvé du naufrage avec une poignée d’hommes, l’amiral s’empresse de présenter la bataille sous un jour plus flatteur. Le récit qu’en fit Olivier de Noort et les témoignages des survivants furent tout autre. La masse des archives espagnoles se charge d’ensevelir les dépositions des naufragés pour n’en conserver que la version officielle. Jusqu’à ce qu’un minutieux travail d’archive les fasse sortir de l’ombre et permette de définir la zone vraisemblable du désastre.

Fort de cette découverte, Franck Goddio conduit en 1991 une mission de prospection aux large de l’Île de Fortune à l’aide du Kaimilioa, un catamaran de 21 mètres conçu pour la recherche archéologique en mer et notamment équipé de magnétomètres à résonnance magnétique nucléaire développés par le Commissariat à l’Énergie atomique. Les anomalies enregistrées sont systématiquement vérifiées en plongée. Le 21 avril, un plongeur repère, par cinquante-deux mètres de fond un tumulus d’où jaillit un fût de canon portant l’inscription Phelipus Rex 1593. L’année suivante, la fouille peut commencer. Elle nécessite une importante logistique. En mer, sur site, un remorqueur spécialement affrété sert de plate forme de travail aux nombreux archéologues sous-marins et aux scientifiques. À terre, au Musée national des Philippines, une équipe suit le détail des opérations.

Deux campagnes de fouilles sont nécessaires pour mettre au jour 5262 objets qui sont nettoyés, inventoriés, photographiés, restaurés, conditionnés à Manille et à Paris. Après avoir relevé la cargaison et retiré les tonnes de pierre de ballast, la membrure apparaît de l’étrave à l’étambot. Le safran est presque intact, la plupart des assemblages sont conservés, les traces d’outils des charpentiers sont visibles. Ce fond de carène permet de dresser le plan et de suggérer l’élévation du galion construit localement, probablement cinq à dix ans avant le naufrage. La liste du chargement du 12 juillet 1601 faisait état de quatorze canons à son bord. Ils sont tous découverts et remontés à la surface. Près de huit cents jarres, dont certaines de trois cent cinquante litres, provenant du Sud-Est asiatique constitue l’essentiel de la cargaison. Elles portent, pour la grande majorité d’entre elles, des marques d’ateliers, des signatures de potier, des chiffres de propriété.

Ces jarres, au même titre que les monnaies, la vaisselle d’argent, les bijoux, les armements et instruments de navigation, nous renseignent sur la vie quotidienne de l’équipage qui comptait tout à la fois une centaine d’Espagnols, nobles, officiers, soldats, artisans et marins, mais aussi des indigènes et des mercenaires japonais. Visiblement, le commandement avait fait embarquer quelques douze cents porcelaines bleu et blanc ; la majeure partie de cet ensemble, de qualité exceptionnelle, provient de Jingderzhen au Jiangxi et marque un moment privilégié avant la standardisation industrielle. Il apparaît aussi que les aristocrates espagnols expatriés s’entouraient de précieuses orfèvreries et verres de Venise qu’ils avaient très certainement emportés avec eux.

En définitive, l’épave du San Diego offre tout à la fois un instantané de la vie à bord d’un galion et donne à voir les types de produits entrant dans le jeu des échanges au long cours au début du XVIIe siècle. Réquisitionné et modifié dans ses aménagements internes pour aller chasser les Hollandais hors des Philippines, ce navire marchand avait auparavant sillonné longuement les routes du commerce intra-asiatique et celles de la Nouvelle Espagne par le Pacifique. Son naufrage ouvre une période pendant laquelle les Hollandais lanceront des expéditions pour s’emparer des Philippines. Considéré comme l’une des plus belles épaves découvertes à ce jour, le San Diego est désormais une source incontournable pour l’étude de la construction navale ibérique de cette époque.

Rapport de mission, Musée national des Phillippines.
Publications :
Le San Diego un trésor sous la mer
Treasures of the San Diego
El San Diego un tesoro bajo el mar
Die Schätze der San Diego
Piezas arqueologicas de la nao San Diego en Museo Naval de Madrid