Ces élégantes bouteilles piriformes à long col sont ornées de dragons, le symbole de la Chine le plus universellement reconnu. Cette créature imaginaire, sortie du bestiaire néolithique, entre au ne siècle avant notre ère dans l’iconographie impériale et devient l’emblème dynastique officiel. Grâce à une brique retrouvée au Maoling sur la tombe de Han Wudi (140-87) on constate que sa morphologie évolue très peu au cours de l’Antiquité. L’animal au corps serpentiforme est doté de quatre pattes puissantes et d’une tête cornue à mufle agressif. Au ville siècle, au Qianling dans le tombeau de l’impératrice Wu Zetian, sa structure reste semblable, mais son corps se débat en d’incroyables convulsions. On semble vouloir insister sur le rôle démiurgique dévolu à cet être. En effet, il lui revient d’arracher au ciel la pluie fécondante, source de toute vie terrestre. C’est précisément ce même rôle de dispensateur de fertilité qui incombe à l’empereur, le premier des agriculteurs. Après les lapidaires et les bronziers, les céramistes s’emparent de cette image et les corps vigoureux des dragons vont désormais s’arc-bouter aussi bien dans le relief que dans le décor peint. La paire de vases bleu et blanc de la Percival David Foundation datée de 1351 reste l’exemple le plus significatif. Les dragons se poursuivent au-dessus des ondes dans les nuées. La dédicace à un temple bouddhique, situé à une centaine de kilomètres de Jingdezhen, prouve que le sujet ne se cantonne plus dans la sphère impériale. Il semble que ce soit le nombre des griffes qui détermine son appartenance. Sous les Ming, les cinq griffes sont considérées comme correspondant en principe à une destination impériale, un fait qui peut se vérifier au Dingling, la tombe de l’empereur Wanli. Sur la plus importante bouteille, deux dragons se poursuivent dans une course infernale. Campés sur leurs avant-trains, avec leurs yeux exorbités, leurs têtes nerveuses, leurs échines flottantes, ils paraissent contenir difficilement leurs forces monstrueuses tandis que leurs dos écailleux et indentés se cambrent et que leurs interminables queues s’enroulent autour du vase. Ils prennent totalement possession de l’espace, autour d’eux jaillissent des flammèches, des flots écumants bondissent, le monde entre en effervescence. Ces lignes fondatrices du décor que sont les dragons articulent aussi l’espace et fédèrent tous les éléments. Véritables vecteurs d’énergie, traduits avec un pinceau ferme dans des bleus intenses et nuancés, plus que des lignes ils représentent des forces dont il faut chercher les fondements dans la tradition calligraphique. Actuellement aucun modèle connu, destiné à l’exportation, ne présente une vigueur semblable, même parmi les nombreux exemples conservés au Topkapi Sarayl. Jean-Paul Desroches "Les porcelaines" dans F. Goddio, [/et al./], [/Le San Diego, un trésor sous la mer/] - Catalogue de l’exposition, Paris,1994, p. 300-359.