Cette paire de jarres à base et ouverture polygonales a été savamment dressée dans un kaolin blanc, lourd et compact. Une morphologie aussi complexe devait passer de main en main pour subir une quantité d’opérations qui s’achevaient par le polissage. Puis le pied était coupé et repris au ciseau pour accentuer l’acuité des arabesques.De telles découpes, procédant de prototypes métalliques vraisemblablement, réclamaient des professionnels chevronnés. Ces potiers bien rémunérés, rodés aux tâches délicates, étaient recrutés par les grands ateliers de Jingdezhen.Ils produisaient des denrées onéreuses qui pouvaient égaler les créations des ateliers impériaux, et souvent, ils partageaient avec ces derniers un répertoire commun de formes et de décors. Plus encore, les ateliers impériaux connaissaient une véritable désaffection du personnel. Des 27 000 maîtres en fonction officiellement sous Yongle (1403-1424), on était passé sous Wanli (1573-1619) à seulement 15 139. Beaucoup, en effet, avaient rejoint le domaine privé. Aussi assistait-on à une sorte de nivellement des talents et aussi des produits. Ces deux jarres se font l’écho de cette mutation en cours. A la fermeté de leur architecture est associée une ornementation résolument classique, fondée sur quatre médaillons polylobés ressortant sur fond d’écailles et semis de fleurs. Le pied est souligné par une frise de panneaux de lotus dressés, le col par une bordure en têtes de ruyi pendant. Dans chaque médaillon est inscrit un idéogramme qui comporte toutefois des variantes. Emergeant d’un rocher surgit soit le caractère shou « longévité », soit le caractère fu « bonheur » en style cursif, qui se dresse sinueux tel un tronc vénérable. A ses extrémités poussent des fleurs de prunus sur l’un des médaillons, sur le deuxième les aiguilles d’un pin, sur le troisième prospèrent les feuilles d’un bambou, sur le quatrième mûrissent des pêches. Le prunus fleuri est une allusion à l’explosion subite du printemps sur des vieilles souches apparemment mortes, le pin demeure vert, la tige solide du bambou résiste souplement à toutes les épreuves, les pêches sont les fruits d’un arbre fabuleux. A l’origine le sujet émanait des ateliers officiels, commandité par les eunuques pour flatter l’empereur Jiajing (1522-1566), féru de taoïsme et d’immortalité. Il mêlait deux valeurs éternelles de la Chine, la nature et l’écriture. Sous Wanli, il devient plus largement diffusé et sort de l’orbite impériale, mais, loin de s’enfermer dans un langage conventionnel, il est traité avec une solide assurance comme l’attestent brillamment ces deux jarres. Jean-Paul Desroches "Les porcelaines" dans F. Goddio, [/et al./], [/Le San Diego, un trésor sous la mer/] - Catalogue de l’exposition, Paris,1994, p. 300-359.