Cette jarre du type guan, au corps ovoïde, à l’épaule arrondie, à col droit coiffé d’un couvercle, apparaît comme la porcelaine la plus importante de la cargaison. L’impression de robustesse qui se dégage de sa silhouette élégante est caractéristique des meilleures pièces des Ming. Elle a été montée au tour, sans raccord apparent, à l’aide d’un kaolin blanc, dense et sonore. Sa base, nue et légèrement convexe, porte une paroi solide à épaisseur constante.Le décor sous couverte en bleu saphir a été mis en place de façon rigoureuse grâce à des doubles filets. Au pied et au col, sans doute dans un parti symétrique, deux frises de rinceaux déroulent leurs volutes sur un fond nuancé. Sur le galbe de l’épaule, intercalés avec des sortes de fleurons, sont alignés douze motifs en têtes de ruyil. Le couvercle sur deux registres successifs est orné de huit trigrammes et de médaillons fleuris alternant avec des oiseaux aux ailes éployées. La panse s’ordonne autour de quatre cartouches lobés en accolades multiples, séparés par des bandes d’encadrements géométriques remplis de motifs d’Y inversés et d’écailles jointives. Des baguettes intermédiaires structurent l’ensemble. Cette conception logique, à base d’unités séparées, fortement reliées entre elles, vise à exalter la cohérence entre la morphologie et l’ornementation. Habituellement les cartouches présentent des compositions florales, les scènes avec les personnages restent tout à fait exceptionnelles. Chaque cartouche est conçu comme une vraie peinture avec ses plans multiples. Des rochers déchiquetés, une cascade, des nuages spiralés, divers végétaux s’entrecroisent pour former l’arrière-plan. Les lignes verticales et horizontales d’une balustrade, tout en creusant l’espace, déterminent une sorte de réduit pour accueillir chaque personnage. Au premier plan, quelques motifs ont été habilement disposés. Ils ressortent d’autant mieux que le terre-plein médian est laissé vide. Dans chaque composition a été ménagée une ouverture latérale créant des lignes de fuite qui approfondissent la scène. Tous les individus sont assis de la même manière, le haut du corps légèrement incliné et paraissant tendre la tête. Le front dégagé, la coiffure tirée à l’arrière, la barbe souple, la moustache fine, ces êtres sans âge semblent s’abîmer dans la contemplation d’un lointain sans objet. Ce thème de l’ascète méditant dans un paysage est une iconographie déjà en usage sous les Dynasties du Nord et du Sud (420-589), notamment avec les représentations des Sept Sages de la forêt de bambou. Il se prolonge sous les Tang, s’approfondit sous les Song et se développe sous les Yuan. Qu’il s’agisse de sage, de moine ou d’immortel, le sujet procède du même idéal, celui de l’ermite qui vit retiré du monde, en communion avec la nature, en quête de l’esprit. Jean-Paul Desroches "Les porcelaines" dans F. Goddio, [/et al./], [/Le San Diego, un trésor sous la mer/] - Catalogue de l’exposition, Paris,1994, p. 300-359.