Comme les plats aux daims, les assiettes aux paysages maritimes illustrent la capacité des artisans de Jingdezhen à maîtriser la troisième dimension. Toutefois là s’arrête la comparaison, car il semble que les sources originelles diffèrent. L’espace représenté n’était plus imaginaire mais bien réel, la mer, les côtes du Sud avec leur relief spectaculaire étaient toutes proches. Tout proche aussi des esprits était le vieil héritage patrimonial de la peinture classique avec ses avant-plans et ses lointains, ses lavis diffus ou intenses, avec son vide médian introduit par le grand Nizan (1301-1374). On comprend qu’il avait matière à donner naissance à un genre, bien que l’on connaisse mal l’origine de ces décors. Peut-être se trouve-t-elle dans des ouvrages illustrés décrivant l’activité de cette côte, ces grands estuaires, ces îles qui s’alignent sur la mer. L’imprimerie, et spécialement dans le Centre-Sud, était très active sous Wanli. Ces paysages se déploient tantôt sur le fond des plats ou des assiettes, tantôt sur la paroi des bols ou des pièces de forme qu’ils enveloppent de leur continuité, à moins qu’ils ne soient contenus par un cadre comme dans la petite jarre du Topkapi Saray ou la bouteille du San Diego (inv. 3804). Les plus anciens fourmillent de détails pittoresques. Ils semblent apparaître vers la fin de la période Jiajing et se perpétuent de façon assez brève jusque dans les premières années du xvile siècle. Parmi les exemples les plus tardifs, et qui perdent une partie de leur attrait en raison de leur style abrégé, il faut mentionner une coupe retrouvée sur le Witte Leeuw (1613). Il est probable que ce thème très évocateur du paysage chinois, ayant suscité un vif intérêt parmi les acheteurs étrangers, ait été alors adapté pour l’exportation. Durant l’ère Wanli la facture devient de plus en plus rapide et les assiettes inv. 1235 et 276 correspondent tout à fait à cette veine hâtive. L’ouvrage est exécuté en deux temps, on procède d’abord à la mise en place du dessin suivi d’un remplissage au lavis plus ou moins dilué. La densité du décor comme sa force résulte autant de l’intensité des bleus aux subtils dégradés que de la précision des tracés. Les pics, les lagunes, les îles s’entrecroisent à la manière de coulisses. Une pagode, un pavillon, un mât avec sa bannière, quelques sampans ponctuent l’espace. L’effet reste d’autant plus étonnant que les moyens utilisés sont dépouillés. Ces peintres pétris de tradition taoïste savent capter immédiatement la dimension poétique de paysages qui sont les leurs. Jean-Paul Desroches "Les porcelaines" dans F. Goddio, [/et al./], [/Le San Diego, un trésor sous la mer/] - Catalogue de l’exposition, Paris,1994, p. 300-359.