A l’effervescence industrieuse des ateliers correspond le bouillonnement de la vie culturelle, lequel prend sa source chez les lettrés, ces fonctionnaires d’Etat, recrutés suivant leur mérite, et arbitres du goût depuis plus d’un millénaire. Ce sont eux, en effet, qui au me siècle inventent l’idée du retour à la nature, à une époque troublée où précisément toutes les valeurs s’effondrent. Les esprits les plus originaux cherchent à oublier le siècle et se retirent en quelque ermitage, loin de tous. Ainsi de leur méditation est né l’art du paysage qui finit à la fin du XVIe par orner les kraak-porselein. Un second thème, issu du même contexte, voit le jour, celui du studio d’étude, le cadre où vivent ces êtres d’élite ; bien que plus rare il n’en reste pas moins remarquable. Le plat inv. 740 constitue l’un des exemples illustrant ce sujet. Tourné et moulé, l’ouvrage se présente avec un encadrement externe à huit lobes en accolades, séparés par huit baguettes auxquelles correspondent autant de motifs en têtes de ruyi qui morcellent la bordure interne en registres à décor d’écailles ou d’Y inversés. Une gourde double, un rouleau de peinture, une tête de ruyi, des livres sont inscrits dans les cartouches en ogive alternant avec des bouquets fleuris sur fond de nuages. Au centre et disposés avec élégance, des objets qui évoquent l’univers serein du lettré : un pot à pinceaux, un écran, une table. Au-delà et différemment orientées, des balustrades qui approfondissent l’espace et suggèrent le raffinement subtil de ces demeures. Le pot est cylindrique et contient dressés quelques pinceaux. Derrière l’écran rectangulaire, on remarque des enroulements de nuages qui semblent de la même main que ceux des registres en bordure. La table à bandeau et quatre pieds convexes, renforcés par des doubles traverses latérales, porte un plateau carré figuré dans une perspective inversée. Une dizaine de volumes reliés dans leur emboîtage jouxtent un vase étrange en forme de canard. On retrouve à plusieurs reprises ce style de motifs dans les porcelaines du San Diego mais le plus souvent isolés. D’autres comme le brûle-parfum sur une sellette (inv. 1458) ou le jardin en pot (inv. 3317) participent de la même mouvance. Ils sont dans l’air du temps et déboucheront au début de la dynastie suivante sur des évocations d’intérieurs meublés ou des présentations d’objets en collections. Ce plat, comme un autre modèle conservé au Topkapi Saray, se trouve à mi-chemin entre ces deux solutions. Il manifeste à sa façon la problématique essentielle de la société Ming de l’époque, celle de l’émergence d’un homme nouveau, issu de l’essor urbain, qui regarde, hésitant, à la fois vers la nature et vers la culture. Autres pièces du San Diego ayant pour thème le lettré: Assiettes : inv. 1, 663, 1108, 1829, 2955. Jean-Paul Desroches "Les porcelaines" dans F. Goddio, [/et al./], [/Le San Diego, un trésor sous la mer/] - Catalogue de l’exposition, Paris,1994, p. 300-359.