Ces bols, très caractéristiques du type kraak-porselein, avec leur paroi mince et sonore, ont été retrouvés en quantité restreinte sur le San Diego. Est-ce que cela signifie qu’ils étaient encore peu répandus à Manille avant 1600 ? Ces quatre bols reposent sur un pied en fort retrait, incliné à l’intérieur. Leur base légèrement convexe porte des adhérences sableuses. Les parois minces et translucides s’arrondissent puis s’élèvent rectilignes pour s’épanouir brusquement à l’ouverture. Elles s’affinent encore sur les bords qui paraissent coupants et s’achèvent en accolades. Correspondant à cette bordure lobée, une division en panneaux multiples au discret relief a été réalisée à l’aide d’un moule. A dire vrai, hormis la forme nécessairement plus fermée et la dimension plus réduite, le principe de cette morphologie comme celui de son décor procède de la même systématique que les assiettes en kraak-porselein. Il apparaît morcelé en cellules jointives régulièrement calibrées créant des alvéoles décoratifs. On retrouve non seulement les mêmes agencements ornementaux inscrits à l’intérieur de ces petites unités mais aussi des procédés communs d’encadrement avec des bandes intermédiaires simples ou complexes. Il semble que le bol inv. 3855, orné de cartouches en ogive, diffère quelque peu des trois autres exemples. Il est plus lourd, plus stable, avec une épaisse couverte irrégulière à l’aspect laiteux. Il pourrait être plus ancien. Hobson cite un modèle comparable monté en calice et datable par sa monture des alentours de 15841. Deux autres exemples montés et datés sont aujourd’hui conservés au Fries Museum à Leeuwarden — le premier aux armes des familles Hillama et Haersma par Thomas Lourens en 1618, le second par Minne Sikkes en 16322. Quant aux trois exemples restants, inv. 0672, 0673 et 2863, les corps sont d’une légèreté surprenante avec un revêtement très vitrifié, brillant et à peine voilé. La segmentation en panneaux est nette avec des filets verticaux ou des baguettes ornées définissant chaque cartouche à l’intérieur comme à l’extérieur. Cependant les motifs internes restent plus schématiques, de simples branches fleuries avec au fond, inscrit dans un médaillon circulaire, un oiseau juché sur un rocher. Quant à l’ornementation externe, elle est délicate et toujours soignée. Sur le bol inv. 672, des vases élégants décorés de svastikas alternent avec des fleurs et des emblèmes, un thème que l’on retrouve sur les inv. 2863 et 3855 mais sans les vases. Le plus grand des bols offre des compositions encore plus élaborées avec une science singulière de la mise en page : un papillon butine, une libellule se balance gravement, une sauterelle inquiète s’apprête à bondir... Ne dirait-on pas des feuilles d’album à la fois subtiles et raffinées, capables de saisir un instant, de le suspendre et de le transcrire sur quelques centimètres carrés ? On comprend que le charme de ces créations, nouvelles à l’époque, ait pu séduire la clientèle ibérique. Dans un proche avenir elles seront appelées à connaître un vif succès, mais alors les Hollandais supplanteront les Espagnols. Jean-Paul Desroches "Les porcelaines" dans F. Goddio, [/et al./], [/Le San Diego, un trésor sous la mer/] - Catalogue de l’exposition, Paris,1994, p. 300-359.