La pivoine, selon des modalités diverses, orne ces trois bouteilles et cette petite coupe. Cette fleur supplante, au cours des Song, le lotus vénéré par les iconographes depuis l’introduction du bouddhisme. S’élevant immaculé du fond fangeux des étangs, il symbolisait la pureté. Son empreinte fut si profonde chez les céramistes qu’elle engendra même la morphologie de certaines pièces, tels les lianzi, ces coupes lotiformes. Le triomphe de l’opulente pivoine marque le passage de la société médiévale à l’esprit plus laïc des Song. La pivoine avec ses émaux rutilants qui s’épanouit sur la coupe du type Cizhou, datée de 1201, du Musée national de Tokyo est tout à fait significative de cette orientation nouvelle. La fleur montre clairement que le regard de l’homme se tourne davantage vers la nature. Aux incommensurables karma bouddhiques, il préfère le cycle régulier des saisons, qu’il va figurer - prosaïquement avec quatre fleurs, la pivoine printanière, l’estivale fleur du grenadier, le chrysanthème d’automne et le camélia pour l’hiver. La pivoine, se trouvant désormais investie d’une forte charge symbolique, manifestera la richesse et la prospérité. Les potiers Ming ne se contenteront plus des séries de frises de leurs homologues Yuan, mais recouvriront entièrement les surfaces. Ils vont mettre au point plusieurs solutions ornementales. La pivoine pourra être traitée en bouquet ou en buisson arborescent, tel est le cas de la bouteille inv. 1148. Trois grands plats à Lisbonne vont jusqu’à la représenter en pot avec ses racines. La deuxième éventualité consiste à recomposer la plante autour d’une ligne abstraite et bien structurée qui ressortira en clair sur un fond sombre orné de volutes. Feuilles et fleurs sont alors accrochées le long de cet axe ondulant. Elles s’épanouissent à distance voulue, créant un rythme décoratif intéressant. Ce procédé séduira aussi bien les artisans de la soie que les peintres sur porcelaine, voire encore les auteurs des jarres du type « Tradescant ». La petite coupe inv. 1056 et la bouteille inv. 552 procèdent de cette formule. La fleur s’ouvre largement avec ses pétales en dentelle révélant pistil et étamines. Les feuilles nervurées se découpent en blanc sur le bleu nuancé. Ce décor épouse admirablement le galbe des formes. La troisième solution combine pivoine et abstraction. Autour de motifs floraux simplifiés se développent des ondes spiralées à la manière de crosses végétales. Le résultat est moins heureu ; Xillustré par la bouteille inv. 104, il paraît découler d’un certain systématisme. Il semblerait indiquer une production plus hâtive, la division en panneaux renforçant cette hypothèse. Jean-Paul Desroches "Les porcelaines" dans F. Goddio, [/et al./], [/Le San Diego, un trésor sous la mer/] - Catalogue de l’exposition, Paris,1994, p. 300-359.