Ces arbitres du goût que sont les lettrés s’attachent au naturel. L’un de leurs porte-parole, l’écrivain Gao Lian, édicte en 1591 quelques-unes de leurs règles dans ses Huit Discours sur l’art de vivres. Zhang Chou apporte une touche de raffinement supplémentaire avec sa Monographie sur l’art de disposer les fleurs dans un vase, préfacée en 15952. Il prodigue les clés pour dresser un bouquet élégant. Il convient, écrit-il, d’utiliser au plus deux ou trois branches. Deux objets du San Diego offrent des exemples contemporains de ces éphémères compositions. L’un, le plat inv. 1175, présente deux pivoines et un lotus. Le second, inv. 184, est une petite assiette très lourde, à huit panneaux rayonnants et baguettes intermédiaires avec au centre un panier fleuri. La corbeille étant l’attribut de Lan Caihe, il est possible qu’il s’agisse d’un symbole qui se réfère à cet immortel, patron des fleuristes. Ce modèle sobre va très vite se charger comme on peut le constater avec un exemple enchâssé dans le décor du château de Charlottenburg à Berlin, très semblable à un second, fragmentaire, retrouvé sur l’épave du Witte Leeuw. Zhang Chou appartient à cette intelligentsia de la Chine du Centre-Sud comme le philosophe Li Zhi (1527-1602), le plus brillant des esprits de l’époque, ou Li Rihua (1565-1635), le sous-préfet de Jugang au Jiangxi, chargé à la fin des années 1590 de superviser le transport des porcelaines de Jingdezhen. Ces deux derniers rencontreront M. Ricci plusieurs fois entre 1596 et 1599. Li Rihua en 1597, après une visite au père jésuite italien, est accusé d’être plus porté vers la pensée religieuse que vers les devoirs officiels. Alors, prétextant des affaires privées, il se replie dans sa famille pour se livrer aux jeux de l’encre et du pinceau, s’entourant de quelques pièces bien choisies nécessaires à cet exercice, une pierre à encre, des pinceaux, du papier, des gâteaux d’encre, quelques livres, etc. Singulièrement à bord du San Diego figuraient plusieurs objets de ce type dont cette verseuse en porcelaine, sans doute en fait un compte-gouttes qui servait à diluer l’encre. Façonnée dans un kaolin blanc, elle revêt l’aspect surprenant d’une aubergine. Un lézard au corps fluide paraît s’agripper près de l’ouverture, la tête relevée donnant l’impression de guetter une proie. Un lavis bleu, prestement badigeonné, dote l’exécution d’un caractère direct. Ce genre de réalisation, dont on connaît un exemple proche à la Percival David Foundation, est caractéristique de ces petits outils réservés aux lettrés4. Ces « jouets » invitent à la contemplation et veillent sur la table du maître qui s’apprête à écrire. Sans fonction pour les Européens, ils ne pouvaient prendre leur sens qu’entre les mains d’Asiatiques. Des pierres à encre de facture japonaise ayant été retrouvées, il est vraisemblable que ce compte-gouttes a appartenu à un ressortissant nippon. Jean-Paul Desroches "Les porcelaines" dans F. Goddio, [/et al./], [/Le San Diego, un trésor sous la mer/] - Catalogue de l’exposition, Paris,1994, p. 300-359.